Une bonne leçon de lâcher prise, pour un occidental qui aime planifier.
- Xavier
- 23 oct. 2022
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 26 juil. 2023
J’organise la réalisation d’une reportage vidéo sur la filière moringa. Le film doit nous permettre d’obtenir des financements, il sera en particulier diffusé au congrès « Together against hunger » qui se tient à Washington début octobre. C’est encore la période des vacances scolaire au Togo, aussi je décide de faire revenir les enfants et mamans cantines avant la rentrée.
Je programme 2 jours pour réaliser des interviews dans la coopérative de moringa, ainsi que dans les 2 écoles où les enfants bénéficient de repas enrichis depuis 2017. Les 3 sites sont distants de 1h à 1h15 de pistes parfois difficiles à pratiquer, autour de Kpalimé, à 2h30 de Lomé. L’agenda est chargé : une quinzaine d’interview, et je souhaite aussi filmer les activités de récolte, de transformation des feuilles en poudre, de préparation des repas.
Je fixe les dates du reportage, avec Pierre notre journaliste, les directeurs d’école, le président de la coopérative. Je loue un grand 4x4 avec chauffeur, afin que nous fassions le trajet ensemble. Pierre prévoit de venir avec un caméraman, un pilote de drone et un technicien son. Je serai accompagné d’Eli un collègue de Kinomé. Nous convenons d’un circuit de ramassage de l’équipe en 3 points à partir de 6h15 de Lomé (je suis au 2ème point).
En « bon occidental », je planifie l’agenda des 2 jours d’interview, je rappelle chacun la veille de notre départ, refais le point sur l’agenda, et confirme les heures et lieu de rendez-vous.
1ère surprise (d’une longue série, vous allez le voir) la veille de notre intervention : le directeur de l’école de Wonougba Seba réalise que sans l’autorisation du directeur d’académie, nous ne pouvons pas faire revenir les enfants hors période scolaire ! L’académie refusant de nous délivrer cette autorisation pour le lendemain sans une enquête préalable, nous décalons notre mission d’une semaine, ce qui a pour conséquence de raccourcir le temps disponible pour le montage du film.
Le matin du vrai départ, 15 minutes après l’heure du 1er point de rdv, le chauffeur m’appelle car le journaliste (Pierre) et son équipe ne se sont pas présentés, il n’arrive pas à les joindre. Je m’empresse d’appeler Pierre qui me dit qu’il va arriver, que tout est ok. A nouveau 15 minutes plus tard, le chauffeur me rappelle pour me dire qu’il n’est toujours pas parti. En effet, Pierre a donné rendez-vous à son mécanicien au même endroit, pour qu’il entretienne sa voiture pendant son absence, et le mécanicien n’est pas encore passé chercher les clés ! J’essaye à nouveau de joindre Pierre qui ne répond pas. Finalement à 6h55 (h +40mn) il me rappelle pour me dire qu’ils sont bien partis. Quelques instants plus tard, c’est un Whatsapp me demandant mon adresse (que j’avais déjà donnée !) car ils tournent dans le quartier sans me trouver. C’est finalement avec 1h10 de retard que nous quittons mon domicile, et je suis semble-t-il le seul à être très agacé de la situation.
Après quelques salutations d’usage, Pierre me dit que nous faisons un « petit crochet » pour aller chercher le pilote de drone. Evidemment nous n’avions pas besoin de ce détour imprévu ! Et surtout, je lui fais remarquer qu’il est déjà accompagné des 3 personnes annoncées de son équipe. Nous avons un véhicule de 7 places, ce qui nous permet de véhiculer les 6 personnes prévues en plus du chauffeur – pas davantage. Lorsque Pierre finit par se rendre compte qu’il a emmené une personne de trop, il me dit qu’il a une solution. J’assiste alors à un échange en Mina (langue parlée localement que je suis le seul à ne pas comprendre dans la voiture). Soudain, le chauffeur s’arrête sur le bord de la route, une personne descend, récupère son sac et s’éloigne de la voiture (cela devait être le sujet de leur échange en Mina 😊).
Nous repartons, … D’autres conversations en Mina auxquelles je ne fais pas particulièrement attention se poursuivent. Nous nous arrêtons à nouveau quelques feux plus loin, et le pilote de drone monte à bord. Curieusement nous opérons un demi-tour, et semblons nous éloigner de l’itinéraire. Le chauffeur me rassure, me dit que c’est plus rapide. Quelle surprise quand je le vois à nouveau arrêter le véhicule sur le côté. Pierre baisse sa fenêtre, interpelle quelqu’un sur le trottoir, et récupère un colis dans lequel il y a une caméra.
Nous reprenons notre route, récupérons Eli sur le chemin après quelques détours inutiles. Je fais abstraction des discussions en Mina, pour imaginer comment nous allons récupérer nos désormais 2h30 de retard, avant l’arrivée de la nuit (17h30 au Togo). C’est alors que le chauffeur arrête de nouveau la voiture, sur la voie de circulation extérieure d’un gros rond-point. Pierre est déjà descendu de la voiture et discute avec un chauffeur de Zem (Taxi moto). Il semble négocier, puis lui remet quelque chose et remonte dans la voiture. Pierre me dit tranquillement que le colis qui lui a été remis avec la caméra contenait aussi une batterie, dont a besoin une personne à Lomé. Il a donc remis cette batterie au chauffeur de Zem, pour qu’il la rapporte à Lomé, quelques 50km plus loin !
Je décide de prendre de la distance et engage la conversation avec Pierre et son équipe pour me détendre, et passer un moment agréable pour les 2h de trajet qui sont devant nous. Au fond, on est sur la bonne route, notre 4x4 fait fi de la pluie qui tombe à verse, les galères sont finies, nous ferons au mieux. Enfin, nous arrivons à la première école. La maman cantine qui est là me dit que le feu qu’elle a allumé le matin s’est éteint avec la pluie abondante, et que les autres mamans cantine ne sont pas venues, et il n'est pas certain que l’on ait plus de 10 enfants aujourd’hui.
Alors nous discutons, faisons connaissance, … au bout de 45 minutes la pluie diminue, et l’école s’anime, une nouvelle maman cantine arrive, puis une autre, … Elles sont maintenant 8, elles nettoient la zone, mettent leur tablier, improvisent une cuisine collective sous un abri de proximité, et changent leur menu pour une recette plus rapide.


Nous filmons leurs activités, oubliant nos difficultés du matin, et peu après midi, le repas est prêt et les enfants sont là très nombreux. Nous pouvons continuer à filmer et interviewer sous le soleil. Les témoignages sont magnifiques. Elles improvisent une danse pour nous remercier de notre soutien… Je vis cette belle rencontre, et abandonne mon « programme » chronométré.

Nous reprenons la voiture et rejoignons la seconde école au bout d’1h de piste particulièrement boueuse. Nous poursuivons nos interviews et allons même au village pour interviewer le chef. Il est déjà installé sur une chaise qui lui est visiblement réservée, nous attendant sans impatience malgré notre retard.

Un nombre important de villageois s’est rassemblé autour de nous. L’équipe de Pierre installe les pieds des caméras, l’éclairage d’appoint (il est 17h15 et la luminosité a déjà bien baissé). Ils réalisent leurs réglages, … quand soudain le caméraman se décompose « je n’ai plus de batterie !». Ils improvisent de ne faire qu’un seul plan avec la seconde caméra … qui tombe en panne de batterie presque aussitôt. Evidemment, nous sommes dans un village qui n’a pas d’électricité en dehors d’un petit panneau solaire qui ne produit plus rien à l’heure qu’il est. Nous nous résignons à utiliser la caméra du téléphone, … quand c’est l’éclairage d’appoint qui flanche à son tour. C’est alors que honteux je présente mes excuses au chef du village et à la communauté, en leur annonçant que nous ne pourrons pas poursuivre ce soir. Nous essaierons de repasser le lendemain, après les interviews de la coopérative si le temps le permet.
Bilan de cette première journée : nous n’avons pas bouclé notre programme, on a dérangé un village et son chef pour rien, et nous ne sommes pas certains de le retrouver le lendemain.

Le lendemain matin, les activités s’enchainent à la coopérative à un bon rythme. Les équipes ont anticipé, et présentent chacune des opérations de la cueillette jusqu’à la fabrication de la poudre de moringa.
La météo est clémente, nous capturons de belles images et les interviews sont magnifiques.

Bonus, nous arrivons même à repasser voir le chef du village de la veille juste avant la nuit. Il est encore là (ainsi que les villageois), disponible pour notre interview.
Je pousse un Ouf !!! de soulagement en reprenant la route du retour vers Lomé.
Les nombreux rebondissements ne nous ont finalement pas empêchés de filmer ce que l’on voulait, ni de réaliser chacune des interviews.
Ces populations m’ont offert un beau cadeau. A quoi bon essayer de tout planifier, quand les imprévus sont abondants : météo, accès à l’électricité, état des routes, … A quoi bon s’inquiéter de l’heure ? Mon collègue Eli me disait « Tu sais Xavier, c’est l’homme qui a inventé la montre ». Ces personnes sont pleines de ressources, de capacité de rebond, d’adaptation. Finalement, elles trouvent toujours une solution, et repoussent l’impossible. Et surtout, même si elles ne possèdent presque rien, elles sont animées par une joie incroyable.
Il ressort de ces rencontres, une belle vidéo authentique, puissante et émouvante. Rdv dans un prochain blog pour la découvrir 😊
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