Découvrir l'Histoire sous le prisme africain
- Joséphine
- 23 juil. 2023
- 5 min de lecture
Au Bénin, entre le XVIème et le XIXème siècle : Quel que soit votre âge, homme, femme ou enfant VOUS êtes debout, en plein soleil, enchainés à vos voisins, vos amis, votre famille et tous les inconnus qui comme vous sont réduits à l’esclavage. Les fers vous maintiennent aux poignets et aux chevilles, la chaleur du soleil vous écrase, mais vous devez rester debout, obéir et perdre toute votre dignité d’être humain.

Ouidah est une ville côtière du Bénin, qui est malheureusement connue pour être le port de transit des esclaves de l’Afrique de l’Ouest. Depuis une dizaine d’années, le gouvernement béninois réalise tout un travail de mémoire et de mise en valeur de leur Histoire. Nous empruntons la « route des esclaves», chemin de 3,5 kms, qui retrace les derniers pas des esclaves sur le sol africain avant de rejoindre les Amériques.
Dès le début du XVIème siècle, suite à la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb, les Portugais suivis des Hollandais, des Anglais, des Allemands et des Français ont utilisé Ouidah comme port de transit pour emmener les hommes, les femmes et les enfants d’Afrique noire vers l’Ile de Gorée au large du Sénégal. Les esclaves viennent des royaumes situés au Bénin mais aussi du Togo, du Ghana, du Niger, du Burkina Fasso, du Nigeria…car à l’époque, le Bénin actuel n’existait pas. Avant d’arriver à Ouidah de nombreux esclaves marchent jusqu’à 130 kilomètres en 3 jours.

A Ouidah, le négociateur portugais le plus connu est M de Souza. Portugais, il a développé cette activité puis l’a transmise à ses enfants. Ce monsieur n’allait pas chercher les esclaves dans les contrées reculées : en contact avec les différents rois, il leur assurait la protection contre un certain nombre d’hommes, de femmes. Ces derniers, donc, pour assurer leur position dans leur royaume étaient contraints de livrer des hommes, soit prisonniers, soit de leur propre peuple.
Arrivés à Ouidah, les esclaves étaient regroupés sur la place Chacha (nom qui vient de Felix Francisco de Souza dit « Chacha »), c’est la place des enchères. Ici, les négriers choisissent leurs esclaves en échange de pacotille (miroir, casseroles, armes…). M. de Souza servait d’intermédiaire/négociateur.
Une fois vendus, ils devaient faire le tour de l’arbre de l’oubli, 9 fois pour les hommes et 7 pour les femmes. Cette marque d’humiliation avait pour objectif de leur faire oublier leur origine, leur tradition, leur culture et leur identité afin qu’ils ne réagissent plus comme des êtres humains, mais comme des animaux.

Ils sont ensuite emmenés, à quelques centaines de mètres, dans les cases Zomaï (qui signifie « là où la lumière n’entre pas ») pour attendre avant d’embarquer. Ces cases n’existent plus aujourd’hui, détruites par les colons après l’abolition de l’esclavage, mais un espace est délimité et une statue symbolise ce que les esclaves y ont vécu. Ils y restaient, pendant plusieurs semaines voire parfois plusieurs mois, assis, enchainés entassés, et affamés avec un morceau de fer dans la bouche (les geôliers espéraient ainsi anéantir les risques de rébellion).

Puis le chemin nous mène devant le cimetière, car toutes ces personnes ne survivent pas à ces conditions de vie inhumaines. Ceux qui sont morts ou ne sont plus suffisamment en forme sont jetés dans une fosse commune. Aujourd’hui un monument au mort est érigé au niveau de l’ossuaire découvert il y a quelques années. Sur ce monument, sont représentés les esclaves enchainés, éclaboussés de leur sang.
Le jour de l’embarquement est (enfin ?) arrivé : les survivants, quelques mètres après la fosse commune, tournent trois fois autour de l’arbre de retour. Dans la tradition vaudou, ce rituel permettait d’assurer à ces hommes, que quoiqu’il arrive, leur âme reviendra sur la terre de leurs ancêtres. Ce rituel demandé par les rois a été autorisé dans un but de paix sociale. Ces esclaves ne sachant pas ce qui allait leur arriver, où ils allaient, pour quoi … ce rituel les rassurait … un peu …


Après plusieurs centaines de mètres, effectués en plein soleil, toujours enchainés les uns aux autres, la dernière étape : la plage. Ici les esclaves montent à bord des pirogues pour rejoindre les « gros bateaux » pour aller au large du Sénégal sur l’île de Gorée où ils embarqueront dans des bateaux beaucoup plus gros pour traverser l’Atlantique. Un monument, appelée La porte de Non-retour a été construit sur la plage il y a quelques d’années, il symbolise cette ultime étape sur le sol africain.
On estime entre 15 et 75 millions le nombre d’esclaves arrivés vivants en Amérique, et 20% des esclaves arrivés jusque sur les bateaux sont morts pendant la traversée. Ces chiffres font froid dans le dos …
Notre guide nous a partagé les recherches effectuées pour écrire cette histoire. Cette démarche est loin d’être facile, en effet elle soulève des points douloureux de l’histoire : la participation active des rois et la part active de certains esclaves affranchis qui, de retour au pays, ont perpétué ce qu’ils avaient vécu. Et l’histoire ne s’arrête pas là … L’abolition de l’esclavage n’a été ni unanime ni effective les mêmes années. Et pendant ce temps de flottement, le trafic continue.

Au Togo, nous avons pu visiter la Maison des esclaves à Agbodrafo, ville côtière togolaise. Cette maison a été construite en 1835 par les marchands d’esclaves pour qu’ils puissent continuer leurs trafics malgré l’abolition de l’esclavage (1807 au Royaume Uni, 1848 en France). La maison est située à quelques pas de la plage, et au cœur de la forêt (à l’époque) pour plus de discrétion. Les esclaves y étaient retenus, le temps que les bateaux arrivent. Pour entrer et sortir de cette maison, ils étaient obligés de marcher à quatre pattes comme des animaux afin de passer par les toutes petites ouvertures prévues à cet effet.

Assis par terre au sous-sol très bas de plafond (moins de 1m 20), serrés les uns aux autres et dans des conditions d’hygiène plus qu’inimaginables, les esclaves attendaient leur triste sort. A l’étage supérieur, quatre chambres et deux salons étaient aménagés pour les marchands.
A partir du 27 janvier 1852, la maison n’est plus utilisée, date à laquelle la reine Victoria, en personne, a mis officiellement et définitivement fin à l’esclavage, même illégal.
Ce n’est pas la plus belle partie de l’Histoire, mais nous pensons important de la découvrir et de comprendre un peu plus cette réalité. Nous espérons que ce patrimoine sera plus mis en valeur, que les recherches mettront à jour la vérité complexe… car comme nous disait notre guide : « l’esclavage a beau être aboli, il est malheureusement toujours d’actualité sous d’autres formes mais bien réel et toujours aussi inacceptable. »

Merci beaucoup Joséphine. Je suis allée à Gorée et c’est très impressionnant de repenser à ces millions de personnes qui ont été meurtries en étant sur les lieux. Merci de nous partager cette Afrique là aussi.
Profitez bien de vos derniers jours. 😘