Immersion dans le quotidien de Pétronille et Sophie
- Pétronille et Sophie
- 12 nov. 2022
- 8 min de lecture

Pétronille étudiante en psychomotricité et Sophie orthophoniste ont deux mi-temps dans leur mission : un ½ à la Pouponnière Ste Claire, et ½ à L’Envol (site Wuiti)
Aujourd’hui, nous vous proposons de vous présenter la pouponnière.
La Pouponnière Ste Claire est un orphelinat pour les enfants de moins de 3 ans (en théorie) tenu par les sœurs de St François. Au départ, les sœurs travaillaient à l’hôpital et recueillaient les nouveau-nés dont la maman était décédée en donnant la vie. Ne pouvant les garder dans le couvent, elles ont décidé de construire un bâtiment : la pouponnière est créée.
Aujourd’hui, en plus des orphelins, la Pouponnière accueille des bébés qui sont confiés par leur famille (en attendant de pouvoir les prendre en charge) et d’autres bébés qui sont abandonnés devant la pouponnière ou ailleurs, âgés de quelques heures ou quelques mois …
Aujourd’hui, il y a une procédure officielle très administrative envers ces enfants abandonnés : le commissariat de police confie l’enfant. Qu’il soit trouvé dans la rue ou déposé devant la pouponnière, une démarche policière est un préalable à l’accueil par les Sœurs. Puis, pendant 12 mois, une enquête sociale est réalisée pour essayer de retrouver un membre de la famille de ce nourrisson. Si aucune relation n’est trouvée, l’enfant est considéré comme adoptable et sera confié par l’état togolais, à un couple (togolais ou européen ou américain… ). Si au contraire un père, un grand-père, une tante est reconnu, alors un retour à la famille sera envisagé.
Les sœurs se trouvent parfois devant de grands dilemmes : Face à une famille existante mais peu fiable (surtout si l’enfant est malade …), faut-il préférer un retour en famille où l’équilibre de l’enfant n’est pas garanti, ou une vie dans un orphelinat sans adoption envisageable ? Faut-il trouver un parrainage qui fiancera un suivi médical, la scolarisation … dans sa famille ou envisager avec cette famille élargie qu’elle renonce à son « droit » sur l’enfant et rende ainsi l’enfant adoptable ?

Bref, aujourd’hui les sœurs accueillent une cinquantaine d’enfants entre quelques mois et 5 ans (le covid a stoppé toutes les adoptions… et les enfants continuent de grandir en attendant que les parents « promis » viennent les chercher)
La pouponnière est située dans Lomé, dans un cadre très agréable, au milieu des sœurs de St François.
Les enfants sont répartis en 3 groupes : les bébés 1, des bébés 2 et les grands. Nous travaillons un jour par groupe, sans être ensemble sur le même groupe (sauf Sophie qui ne va pas chez les petits, étant mercredi à la maison pour être présente pour ses « petits » qui rentrent de l’école à midi). C’est une chance d’être toutes les deux, pour connaître la même réalité, se soutenir, partager nos joies, nos questions …
Imaginez-vous 50 bébés dans une même maison ? les enfants sont répartis dans leur groupe en fonction de leur âge / capacité à descendre les escaliers.

Cela fait tout de même 50 berceaux ou lits à barreaux, 50 repas entre 4 à 6 fois par jour, et autant de bavoirs, 50 changes X 7/jours, 50 douches le matin, 50 douches le soir, 50 tenues du matin, 50 tenues de sieste, 50 tenues d’après-midi, 50 tenues de Nuit, 50 drap-housse (il fait chaud, une chance pas besoin de gigoteuse ou surpyjama… à la saison fraîche les enfants ont des tenues à manches longues). Nous pourrions décliner encore longtemps tous les détails de la vie matérielle avec des bébés ou tout est démultiplié par 50 ! Vous imaginez bien sûr qu’il n’y a pas 50 mamans pour s’occuper de ces petits ! Compter plutôt entre 2 et 3 mamans par groupe le jour pour s’occuper des enfants, une infirmière et 5 papas pour s’occuper de la lessive, du repassage et du ménage.
Donc chacun sait ce qu’il doit faire et l’organisation millimétrée et chargée laisse peu de temps aux jeux, aux câlins et papouilles :
Les douches sont à la chaîne.

L’une lave, l’autre essuie, met la couche et le beurre de karité et quand il y a une troisième, grand luxe, elle habille … pendant qu’une quatrième fait la vaisselle, le ménage de la salle à manger qui est aussi salle de jeu, et la lessive des bavoirs qui n’ont pas de place dans les lave-linges XXL déjà bien occupés avec les divers tenues, draps et serviettes de toilette. Les douches sont aussi l’occasion d’une « inspection » des peaux (mises à mal par cette chaleur, que de boutons plus ou moins purulents …) et d’une prise de température (soit 7 fois par jour : 8h /10h/13h/17h/21h/2h/4h) ce n’est pas un reste du COVID comme les cache-nez (comprenez masque) que nous portons au menton ! mais une attention très fine par rapport au palu (pour ce mois d’octobre , il y avait toujours 1 ou 2 enfants diagnostiqué par semaine … ) car il faut agir vite surtout chez les petits pour éviter les complications, voire le décès.
Les repas sont sportifs :

chacun veut être le premier à manger ! mais chez les tout-petits, les paires de bras ne se multiplient pas à l’heure des repas, chez les moyens ( 9/15 mois) chacun à sa petite chaise avec tablette mais personne ne mange tout seul ! et chez les grands, le démarrage de la cuiller est retardé au maximum : la cuisine togolaise n’est pas facile à manger proprement 😉 (cf post de la semaine du goût) et les bavoirs étant lavés à la main, et les tenues pré-lavées par les mamans (lors de l’apprentissage de l’utilisation des couverts, souvenez-vous comme nos petits barbouillent serviettes et vêtements), les enfants sont longtemps nourris, histoire de ne pas perdre de temps !
Les temps de jeu sont bien inscrits dans l’emploi du temps des enfants, et correspondent pour les adultes à un temps de rangement du linge, de ménage … et chez les bébé2, T’choupi ou Dora passent en boucle à la télé, histoire d’hypnotiser les enfants et de pouvoir ranger, plier sans en avoir un dans les pattes … tout en gardant un œil sur les petits. Notez qu’une petite vingtaine d’enfants de 1 an face à un placard rempli de linge, cela peut rapidement ressembler à un soir de vide-grenier 😉. Chez les grands, ces temps libres virent vite à la bagarre généralisée car tous veulent le même jouet…
Ajoutez à cela une réalité togolaise : les mamans ne jouent pas avec leurs enfants … Les mamans dans la rue travaillent avec leur bébé dans le dos, ou assis à côté d’elle mais sans interaction particulière … Les enfants dans notre quartier jouent seuls, avec une boîte, un caillou, un bâton, ils tapent, râclent la terre, remplissent … mais ne font pas semblant de faire le fou-fou, ne dessinent pas, ne construisent pas de châteaux de sable, leur maman n’est pas là pour déguster leur cuisine-patouille, ou admirer leur œuvre d’art …
A la pouponnière, les « tatas » aiment les enfants : chacune a son ou ses maris (comprenez chouchou!) même les sœurs parlent de leur(s) mari(s), ce qui de premier abord nous surprend !!! Elles expriment cet amour plutôt par des propos tels que « regarde c’est mon mari qui … » ou par une inquiétude quand il va mal, davantage que par des câlins, et des jeux …
En résumé, nous avons été très surprises (quel doux euphémisme !) par la vie à la Pouponnière et un peu dubitatives sur notre mission…
Dans un premier temps, il a fallu dépasser le choc interculturel, le bruit ambiant … et reconnaître que tout était pensé, réfléchi pour le bien des enfants qui sont aimés, regardés avec attention, pris en charge en vue d’une adoption… « les enfants sont rois ici », nous dit la directrice.

Même si cette réflexion aurait peut-être besoin d’un petit rafraichissement 😉 : un temps de télé est imposé dans l’emploi du temps dès 9 mois ! Alors que nous, européens, sommes saoulés/ bassinés de « pas d’écran avant 6 ans ».
Dans un deuxième temps, il a fallu descendre de notre petit nuage et réaliser que nous ne pourrons pas organiser de temps individuel ou en petit groupes pour une prise en charge psychomotrice ou orthophonique. En effet les «tatas » profitent de notre présence pour vaquer à leur occupations sans être dérangées et nous laissent seules avec le groupe. D’autre part nos idées « lumineuses » d’activités stimulantes n’étaient pas si lumineuses que cela, car nos quelques propositions de jeux ont été rejetées, soit par les tatas car « trop dangereux, les enfants vont se faire mal », soit par les sœurs « les enfants sont fragiles, aucun matériel, jeux extérieur… ne rentrent dans la pouponnière sans autorisation »
Heureusement, une rencontre avec la sœur-éducatrice de la Pouponnière nous a éclairées :
La vie matérielle est une charge lourde, pensée, répartie au mieux selon leurs moyens financiers, et la réalité togolaise (ménage quotidien à cause de la poussière, repassage obligatoire pour éviter des maladies…). Nos bras sont les bienvenus pour soulager l’équipe !


Étendeurs à linge vidés, grâce au travail des tatas qui ont mis le linge à sécher dans la matinée et qui ont tout ramassé avant 16h Chaque jour, tous les fils sont utilisés !
La majorité des jeux sont des dons qui exigent d’être triés, lavés et qui parfois sont à jeter… et trop souvent, en quantité insuffisante pour les 50 enfants. Ils ne sont jamais faits pour résister à des manipulations un peu brusques des petits (merci la Chine !)
les mamans sont peu, voire pas du tout formées ; certaines ne savent pas lire … mais elles ont une bonne volonté et aiment les enfants dont elles s’occupent (comme nous l’avions déjà senti). Il faudra du temps pour que les habitudes évoluent.
Vous l’aurez compris, nous faisons le ménage, les lits, la lessive etc, et surtout nous essayons de faire une guidance « parentale » par « imprégnation » des tatas travaillant à la Pouponnière : oui je suis blanche, mais non je n’ai pas de personnel à la maison et comme vous, j’ai fait le ménage avant de quitter ma maison et comme vous, ce soir, je préparerai à dîner pour les 7 personnes qui composent ma famille …et donc, comme vous, je plie le linge, lave les chaises hautes et je prends aussi le temps de jouer avec les enfants, de chanter des comptines gestuées, je leur parle de ce que je fais, des vêtements qu’ils mettent, je joue à cache-cache derrière ma main, je profite d’une prise de température pour développer leur attention et entendre la sonnerie du thermomètre …

Et quand les sœurs sont présentes, nous essayons de lancer des pistes de réflexion sur le besoin de manipuler, d’expérimenter, de s’admirer dans une glace, de tomber de temps en temps, et de se salir, inévitable à ces âges-là …
C’est une description qui pourrait sembler pessimiste, mais qui est surtout très européenne et productiviste ! Si vous voyiez ces 50 bouilles trop mignonnes tout sourire, ces cris et sauts de joie qui nous accueillent, ces bras qui se tendent et ces demandes de « coco » (câlins), ces fous-rires, ces échanges de regards heureux avec Landry (polyhandicapé) ces accueils très chaleureux des mamans ("ah ma fille ! comment vas-tu ? et la maison ? et maman ?" ou la version Sophie et respectueuse de mon grand âge 😉 « eh mémé Sophie , comment vas-tu? et la famille ? et la fatigue ?» ) et ces « reproches » de ne pas avoir pris le temps de venir dire bonjour sur les groupes où nous ne travaillons pas ce jour-là, la joie des sœurs aussi quand elles nous croisent … Rien d’objectivement mesurable, mais la fraternité grandit, et les enfants commencent à jouer autrement qu’en cassant les jeux, ils viennent nous chercher pour nous faire goûter un gâteau-caillou … et certaines mamans regardent et à l’occasion, tentent une chanson mimée (nous reconnaissons toujours l’air des comptines, pour les paroles, c’est parfois plus difficile) …
Nous avons mis quelques semaines à nous adapter mais aujourd’hui, nous nous sentons à notre place et nous sommes heureuses d’y « travailler ».
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