Don des langues ?
- Sophie
- 28 mai 2023
- 5 min de lecture
«- Essobedo
-Dosso. Ofon nuedea?
- M’fon nuede, woyadé ?»
Petit échange du matin, vous l’aurez reconnu en EWE !
L’éwé est la langue du sud du Togo, je devrais plutôt dire un dialecte, l’un des 41 parlés au Togo. Le français est la langue officielle apprise à l’école, et l’éwé reste la langue de la maison, de l’amitié, très majoritairement parlée dans la rue aussi.

Les Togolais eux-mêmes émaillent leurs conversations de mots en français. Parfois, par facilité ou par rapidité de la locution, en effet, le mot avion se dit en traduction littérale : véhicule dans le ciel… mais aussi parce que certains mots n’existent pas en éwé. Ils ont aussi des mots que nous n’avons pas chez nous : selon ton jour de naissance, tu portes un prénom particulier. Ils ont même pensé aux jumeaux pour lesquels ils ont prévu des noms différents. (Tableau prénom selon jour)

L’éwé est une langue où l’intonation est primordiale : selon l’intonation, vous pouvez dire exactement le contraire par exemple, « lilili » en montant en fin de mot vous dites que « cela sent bon » alors qu’en descendant, « cela sent mauvais » ! Au marché, les tatas nous reprenaient gentiment et nous faisaient répéter. Bien souvent, nous avions l’impression de redire exactement la même chose. Aujourd'hui, les échanges sont plus fluides :
nous avons progressé et/ou les tatas se sont habituées à notre accent. 😉
Pour continuer sur l’intonation, assister à un match de foot est une moment instructif ; peu de mots sont échangés mais les onomatopées « hé» fusent de toute part et sur tous les tons car elle pourra dire : fais une passe , ou ton tir est nul, ou bravo on a marqué un but … A la pouponnière aussi, les tatas utilisent l’onomatopée pour exprimer leur joie, leur mécontentement, leur peur, leur fatigue.

L’ouverture ou le fermeture des son « o », et « é » est un autre élément primordial, … qui nous paraissait un détail. C’est grâce à Hombeline, que j’ai découvert que je répétais à tort et à travers «évo » (pour dire que tout va bien) et qu’en fait je disais un mot nettement moins poétique que mes enfants m’interdisent d’écrire ici pour épargner nos jeunes lecteurs ! Vous imaginez que personne n’a osé me corriger et que depuis nous faisons bien attention à ouvrir le « o » final .
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L’éwé n’a pas de conjugaison : pas d’accord en fonction du sujet, et un préfixe ou un suffixe marquent le présent, le passé ou le futur …
Les togolais utilisent un petit suffixe « lo » c’est comme un peu de douceur dans ce monde … ils l’ajoutent au bout de beaucoup de mots, expressions … et un simple merci devient un « grand » merci, un demain devient à « demain avec plaisir », passez une bonne journée se charge d’une « amitié sincère » … et ils répondent « yoooo » (comme un d’accord, ou un merci ) qui peut devenir « yooolo ». Ils ajoutent aussi ce « lo » après des mots français ou anglais : bye-bye-lo comme un attente de se revoir.

Voilà qui pourrait vous faire dire qu’avec un peu d’entraînement, nous devrions être comme des poissons dans l’eau ! Plongés dans ces sons, nous avons essayé d’en apprendre les rudiments pour échanger avec nos voisins, nos collègues …
Xavier a même pris des cours proposés par « France Volontaire » utilisant un dictaphone et passant ses soirées à apprendre et nous faire répéter (c’est assez drôle !!!) … mais au bout de 9 mois, le résultat n’est pas brillant !

Un jour, très fière d’avoir appris « bonne soirée » en éwé, je la souhaite au couturier près de la maison. Etonné, il me regarde ne semblant pas comprendre, je lui répète donc ce « wetro anégnolo». N’ayant toujours aucune réaction de sa part, je lui traduis … content, il me dit : vous me parlez dans votre langue ! Vous imaginez le fou rire des enfants quand je leur ai raconté cet énième échec ! Pour ma défense, les gens sont surpris que l’on cherche à apprendre leur langue et mélangeant français et éwé, ils ne réalisent pas toujours que nous baragouinons une expression dans leur langue.

Hombeline est celle d’entre nous qui peut tenir une conversation le plus longtemps ! Joséphine revient elle aussi souvent de son collège avec une expression ou un mot que nous essayons d’intégrer. Tous, nous connaissons les formules de salutations, et pouvons y répondre (même si nous n’arrivons pas encore à demander : comment vont les enfants ? alors que nous reconnaissons la question et pouvons y répondre). Nous pouvons demander son prénom à un enfant, lui demander de s’asseoir, de venir se doucher, de nous donner un objet, de faire seul …et même de le consoler (enfin avec une ou deux expressions du genre « ça va aller » et « c’est fini » ! pour l’empathie, nous devons avoir recours au français 😉)
Au marché ou dans nos lieux de mission, les personnes savent que nous essayons de parler, et de leur côté, elles essaient de comprendre nos propos et se réjouissent des quelques mots que nous utilisons, allant parfois interpeller les voisines pour qu’elles partagent leur joie. D’ailleurs, l’autre jour, nous nous promenions dans un von que nous n’avions jamais emprunté, une inconnue salue Joséphine en français, qui lui répond … La femme tente alors un « comment vas-tu ?» en éwé et Joséphine lui répond en éwé. Cette femme était très touchée et a demandé à Joséphine de s’approcher pour la prendre dans ses bras. Sa joie était palpable … alors que la conversation était tout compte fait assez réduite !

Lors de nos visites aux hippopotames, les enfants du village étaient contents de nous apprendre les animaux en ewé. Que de fous-rires à essayer de répéter les mots. Notre oreille nous disait que nous étions plutôt bons mais leurs rires et la nécessité de répéter encore et encore nous font réaliser que notre performance est plutôt médiocre ! Même s’ils nous félicitent pour ceux que l’on connaît déjà (cheval, poule, chien). Pétronille a bien noté en phonétique tous ces noms, mais nous ne sommes pas sûrs que nous puissions les utiliser et nous faire comprendre !

Nous sommes togolais car nous parlons « un peu un peu » éwé (et surtout mangeons togolais). Nous sommes touchés que les togolais soient fiers et heureux de nous entendre parler leur langue. Et même si cette langue reste bien mystérieuse, nous espérons garder quelques traces : expressions, mots, « joyeux anniversaire » …
Eyzandé (à bientôt)
On ne peut dire que bravo à vos performances linguistiques ! Je ne suis pas bien sûre que je réussirais... un peu handicapée que je suis à parler autrement qu'en français 😉 En tous cas, merci encore et encore pour vos reportages. A bientôt pour d'autres aventures. Bises. Chantal (Ferron-Trapon)