top of page
Rechercher

Chut... ça pousse !

  • Xavier
  • 5 févr. 2023
  • 9 min de lecture

Nous sommes presque à ½ mission. C’est un moment de relecture pour chacun de nous, et nous vous proposons de vous le partager dans nos prochains blogs.


Lorsque j’ai repris la conduite du projet moringa, je n’y connaissais rien. Je me suis très vite rendu compte qu’il y avait eu beaucoup d’initiatives menées sur les 10 dernières années. Le projet a été initié par Nicolas Metro, le fondateur de Kinomé qui a tout de suite identifié le potentiel de cette plante extrêmement nutritive. Les vertus du moringa sont incroyables, les besoins au niveau du pays sont énormes : 30% de malnutrition chez les enfants, un niveau d’anémie chez plus de 50% des femmes enceintes. Pourtant depuis 10 ans que Kinomé appuie le projet, la production/diffusion du moringa reste limité à 10kg de poudre par jour, de quoi toucher 2 500 personnes. J’ai même contacté 3 coopératives qui ont cessé leur activité par manque de débouchés. En fait, c’est un peu comme un serpent qui se mord la queue :

1/ Le besoin existe, mais la demande de poudre de moringa ne remonte pas. Les togolais sont fatalistes. Il y a de la malnutrition, et c’est comme ça. Ils ne prennent pas le taureau par les cornes pour changer le cours des choses

2/Il n’y a pas de capacité de production. En effet, les petits producteurs sont loin du marché pour entendre les besoins, qui de toute façon ne sont pas exprimés. Il n’y a pas d’investissement, et ils n’arrivent pas à vivre de leur activité.


Pour sortir de ce cercle vicieux, j’ai choisi de travailler sur la compréhension du besoin pour le consolider et le dimensionner, et aussi sur les capacités de production pour pouvoir répondre positivement aux besoins en qualité et en quantité. Travailler sur la demande et sur l’offre en simultané est à mes yeux la clé pour lever les freins.


La demande :


J’ai entamé un gigantesque speed dating avec des ONG, des administrations, des bailleurs de fond, des acteurs de la malnutrition, des fabricants de farine infantile, des distributeurs de « superfood », des acteurs du commerce équitable, des fabricants de produits agroalimentaires, … C’est un peu comme si je tirais le fil d’une pelote de laine, … je ne quittais jamais un contact sans questionner pour en avoir au moins un autre. Je viens rencontrer ces personnes sans idées précise de ce que je vais trouver, je viens partager ce que nous faisons, et prendre conseil. La culture togolaise de l’accueil, et de la vie au jour le jour me permet souvent d’avoir un rdv dans la semaine qui suit ma demande, avec des personnes disponibles et généreuses de leur information. J’ai rencontré plus de 45 personnes, parfois plusieurs fois. Evidemment, l’enthousiasme et l’énergie de chaque rdv ne se transforment pas toujours en concrétisation, mais ils m’ont permis de bien avancer.

Les cibles prioritaires sont les enfants et les femmes enceintes et allaitantes. Chaque individu aurait bien sûr intérêt à consommer du moringa, mais ce sont évidement ces populations chez qui un manque de micronutriments serait le plus grave. 2 à 3 cuillères de poudre ou un bol de feuilles fraiches leur permet de couvrir entre 15% et 50% de leur besoin journalier en fer, calcium, vitamine A, et constitue un apport de protéine, vitamine C significatif.


J’identifie 3 canaux de diffusion


1/ les cantines scolaires : L’agence de l’état a créé des cantines scolaires dans 500 établissements

prioritaires, avec une cible à 1000 en 2025, pour passer de 8% des enfants à 24% touchés. Par "cantine", il faut entendre des « tatas », qui sont des mamans volontaires, qui préparent les repas pour l’ensemble des élèves, sur feu de bois. L’état apporte une partie du financement des denrées alimentaires, les parents le complément. J’ai partagé largement le projet pilote fait par Kinomé et présenté dans le film que vous retrouverez sur le lien suivant : https://youtu.be/_7PDEI27-nE


Ici je fais visiter les écoles qui ont bénéficié du programme pilote de Kinomé au représentant de l’agence de l’état gérant les cantines. Après déjà 4 rencontres avec ce responsable, cette visite a été un point de bascule pour commencer à écrire la diffusion dans d’autres cantines de la région et j’espère beaucoup plus loin. Petite victoire d’étape, … avec pour cible de toucher 25% des 1000 cantines en 2025.



2/ les farines infantiles : L’alimentation maternelle est largement recommandée jusqu’aux 6 mois de l’enfant. Lorsque les mamans commencent la diversification, l’alimentation est parfois très pauvre en micro-nutriments. Certaines familles fabriquent leur farine elle-même, parfois avec des feuilles de moringa qu’elles sèchent elles-mêmes. D’autres ont recours à des farines du commerce. Une étude de l’Unicef indique un manque énorme de farines infantiles de qualité dans les pays subsahéliens (10 000 tonnes/an pour un besoin de 90 000). En rencontrant les fabricants de farine infantile, je découvre qu’ils ont déjà mis au point des farines enrichies au moringa, ils les ont même testées auprès des consommateurs. Ils ne les ont pas diffusées, car il leur manque un approvisionnement de moringa de qualité, avec des volumes suffisants. Naturellement, pour pouvoir intégrer l’alimentation des bébés, il faut être irréprochable sur le plan de la salubrité du produit – Si le moringa est très nutritif pour les humains, il l’est tout autant pour tous les micro-organismes qui rêvent de s’y développer. L’hygiène dans la fabrication de la poudre est l’enjeu majeur de la production, et ce n’est pas rien dans un pays qui n’a pas les mêmes référentiels que l’Europe en matière d’hygiène, ni même d’industrie agro-alimentaire développée. On y reviendra dans la partie fabrication. Je commence donc des essais en quantité importante de fabrication de farine enrichie au moringa.


3/ les centres de soin : Les togolais limitent leur fréquentation des centres de soin, pharmacie, pour des raisons de coût (il n’y a pas de sécu !). Quand ils y viennent, la situation est souvent déjà grave. Aujourd’hui la réponse médicale à de la malnutrition grave ou sévère va passer par des aliments thérapeutiques enrichis en vitamine. Ce sont des aliments importés, souvent offerts par une ONG car coûteux. Des études scientifiques menées au Togo et à Madagascar indiquent que l’intégration du moringa à des aliments locaux naturellement riches (patate douce, arachide, …) permet dans certains cas de malnutrition d’avoir des résultats similaires au traitement par les aliments thérapeutiques importés. Pour que cette solution locale soit appliquée, il faut creuser ces études scientifiques, apporter une démonstration, publier, former les décideurs de l’alimentation et du soin … Encore du chemin… qui en vaut la peine pour un pays qui veut développer son l’autonomie.


En plus de ces canaux de diffusion locaux, j’ai étudié le marché international qui est en demande de poudre de qualité d’Afrique. Ces ventes apporteront un complément de revenu, et surtout une exigence de qualité qui tirera vers le haut la filière.


Conclusion de la demande : Chacun de ces canaux locaux + international cumulés représentent un besoin d’au moins 700kg de poudre de moringa par jour, pour une production actuelle de 10kg/jour. Ils nécessitent que la poudre soit de qualité constante et irréprochable. Il n’est pas question de filer un staphylocoque ou autre cochonnerie à un enfant déjà fragilisé ! => C’est maintenant que j’aborde l’offre.


L’offre :


C’est une production à l’arrêt que je découvre en arrivant dans les coopératives. Si Kinomé appuie 2 coopératives au Togo depuis une dizaine d’années, la première (APPEF) est en travaux d’agrandissement depuis août 2022, et la seconde (PROSCOMO) qui a démarré plus récemment n’a pas été au-delà de la production de quelques échantillons tests. Je me concentre sur la seconde, car sans planning de travaux pour la première ( 😊choc culturel !), j’estime que le redémarrage ne se fera pas avec mai 2023.

En plus, comme je stimule la demande (paragraphe précédent), il est important que l’on ait à disposition de la poudre à proposer pour tester le marché, faire des essais, …

PROSCOMO a été assistée plus qu’accompagnée. Kinomé a financé sa construction, parfois pris décisions de gestion pour aller vite à la place de la coopérative … Le résultat est que les champs ne sont pas entretenus, la cueillette n’est pas faite, les producteurs sont démotivés. Du côté de l’unité de transformation l’activité est très faible, la qualité inconstante et insuffisante, … en bref loin des demandes du marché.


1/ Stimuler l’activité

Pour lancer l’activité, je décide d’acheter 20kg de poudre et de diffuser dans quelques points de vente bio, pharmacies, produits du terroir. A ce moment-là, c’est énorme pour la coopérative, c’est environ 20 jours de travail, cela redonne de la confiance aux producteurs qui vendent leurs feuilles à la coopérative. Cela fait des rentrées d’argent dans la coopérative, et chez le distributeur à Lomé. Passé ces 20 jours, je cherche des relais tout azimut : des fabricants de jus, la chaine de magasin champion, un contact à l’export, … C’est alors qu’une société de conseil française qui a financé une partie du programme pilote décide d’offrir à ses 350 salariés et 250 clients un sachet de moringa. Belle opportunité de produire 60kg supplémentaire avec un objectif de délai exigeant !


2/ Passer de l’assistanat à l’appui pour rendre autonome

« Si tu donnes du poisson à quelqu’un il sera rassasié, si tu lui apprends à pêcher, il n’aura plus jamais faim » Lao-Tseu. C’est tellement vrai ! Je décide une rupture dans le comportement de Kinomé avec la coopérative - J’arrête les décisions à leur place, je les questionne, stimule leurs réflexions, les

pose face à leur responsabilité. C’est certain cela prend plus de temps et cela nécessite de ma part du lâcher prise sur le résultat. Ce n’est pas évident de ne pas tout maîtriser quand dans le même temps je cherche à satisfaire des clients. Sur le coup, c’est sans doute désagréable pour les membres de la coopérative … car c’est un peu comme s’ils étaient dans un bon bain chaud, et que je leur demandais d’en sortir brutalement. Puis petit à petit, ils organisent l’entretien des parcelles, planifient la cueillette, démarrent une activité de transformation 2 jours par semaine, puis 3, ... et même maintenant tous les jours. Ils ont réussi à livrer dans les temps (c’était chaud) les 350 premiers sachets pour expédition au client français. Le colis est arrivé la veille de sa journée de séminaire avec ses salariés !


3/ Monter le niveau de qualité

Beaucoup d’efforts ont été mis en œuvre par la coopérative pour la qualité, souvent bien plus que dans certaines usines locales que j’ai pu visiter. Ils lavent les feuilles avec 3 bains d’eau dont un bain javélisé, ils ont adopté un flux type « marche en avant », ils ne ramassent rien au sol, … Pour autant la qualité microbiologique reste insuffisante pour fournir à des enfants. Je me suis aperçu que parfois ils séchaient en 2 jours lieu de 1 pour éviter de racheter du gaz ! La reprise d’humidité de la nuit favorise le développement de micro-organismes. Par ailleurs le lavage des mains est trop approximatif, les vêtements de travail qui sont utilisés autant à l’extérieur du centre de transformation qu’à l’intérieur, sont désormais corrigés… les dernières analyses sont en progrès, et j’espère que les prochaines seront à la hauteur de la cible exigeante « enfant proof ».


4/ Développer les capacités de production

Nous franchissons une première marche en atteignant une capacité de 3kg par jour avec la coopérative PROSCOMO, par l’amélioration de l’organisation, la régularité de l’activité… et également amélioration des équipements. Nous arriverons à 30kg en ajoutant les capacités de l’autre coopérative une fois les travaux finis. Nous sommes encore loin du besoin que j’identifie à 700kg par jour. Sans atteindre une capacité de quelques centaines de Kg, nous n’intéressons pas les cantines, les fabricants de farine infantile et les centre de soin.

C’est pourquoi j’ai dimensionné un projet de création d’une unité industrielle d’une capacité de 500kg/jour, pouvant être portée à 700kg. C’est le moyen d’arriver aux volumes attendus, avec une qualité constante et au meilleur niveau. J’inclue dans ce projet la poursuite des études scientifiques et leur publication, ainsi que l’évaluation des impacts sociaux économiques : Nous visons par exemple l’augmentation des revenus pour 1 000 personnes impliquées dans la culture, la transformation et la distribution, nous visons à développer l’emploi féminin, nous avons pour cible la plantation de 300 000 arbres. Je m’associe à une ONG locale pour monter ce projet évalué à 1,3M€.


Je suis aujourd’hui dans la recherche de fond pour obtenir 0,9 M€ de subventions et 0,4M€ d’investissements privés (si vous avez des contacts, je suis preneur 😊)


Ce projet pourrait être une vitrine pour s'exporter dans tant de pays. En effet, il est saisissant de voir que là ou sévit la malnutrition (carte rouge) pousse le moringa (carte verte)


Dans le même temps, Kinomé se transforme car son environnement bouge très vite, et plusieurs départs ont conduit Nicolas (le CEO et fondateur) à repenser son organisation. J’ai eu plaisir à réfléchir avec Nicolas, à partager certaines de mes expériences et lui apporter quelques conseils. Il réorganise en profondeur son orga, et me demande désormais de coordonner l’activité projet de Kinomé (il y a une activité conseil / une activité projet) pour partager aux chefs de projet qui sont très jeunes une expérience de « grand frère » et les aider à se développer. L’objectif est également d’aller chercher de nouveaux projets pour étoffer cette activité au sein du portefeuille de projet Kinomé. Pour me libérer du temps, j’ai recruté une jeune VSI qui est issue d’une école de commerce + science po, et qui a travaillé dans le financement de projet pour une ONG. La complémentarité est intéressante ! Elle arrive en mars.


Je prévois aussi bientôt une mission de 2 semaines à Madagascar en mars ou avril. A Madagascar; 2 coopératives de moringa sont également appuyées par Kinomé. Je m’occupe de leurs débouchés à l’international, et je souhaite partager sur le volet industriel avec eux. Je rencontrerai aussi l’ONG qui a travaillé sur une étude scientifique auprès d’enfants malnutris, et d’autres acteurs de la malnutrition.



Je me suis découvert une nouvelle passion, et j'espère dans les 6 mois qui viennent concrétiser quelques avancées, qui auront un impact sur la santé, l'amélioration du niveau de revenu, et l'amélioration de l'environnement pour des milliers de Togolais.


 
 
 

2 Comments


Chantal Trapon
Chantal Trapon
Feb 06, 2023

Merci Xavier pour toutes ces explications autour du moringa que j'ai découvert avec toi. Quel travail ! On rêverait que la solution soit vite trouvée pour permettre aux enfants, aux femmes enceintes et toutes les personnes malnutries de bénéficier de cette manne. Sans compter les revenus pour les producteurs. Bon courage à toi. Je transmets autour de moi pour faire connaître cette situation. Chantal

Like

Philippe DENEY
Philippe DENEY
Feb 06, 2023

Passionnant ! Merci Xavier

Like
bottom of page